Un grand merci à Paul de la lavagueparallele.com pour cet interview de Josh
Il est certains rêves qu’on pensait inaccessibles. Aussi, lorsqu’on a décidé d’écrire à Josh Klinghoffer pour lui poser quelques questions à propos de To Be One With You, son superbe premier album solo, on pensait que la demande resterait lettre morte. Pourtant, quelques semaines après avoir quitté les Red Hot Chili Peppers, il a accepté de nous livrer l’une des premières interviews de son nouveau projet. Origines de cette démarche, vision de la musique et avenir de Dot Hacker : Josh Klinghoffer dévoile pour nous la naissance de Pluralone.
La Vague Parallèle : Salut Josh ! Tu viens de sortir To Be One With You, le premier album de ton projet solo, Pluralone. Comment tu te sens ?
Pluralone : Salut. Désolé d’avoir mis un peu de temps à revenir vers toi, mais beaucoup de choses sont arrivées depuis la sortie de To Be One With You. Je ne me souviens pas vraiment de mon état d’esprit en novembre, mais en ce moment, je me sens bien.
Je suis heureux que le disque soit sorti. Je suis juste un peu stressé de faire la première partie des concerts de Pearl Jam tout seul, mais c’est aussi vraiment très excitant.
LVP : Tout d’abord, je voudrais revenir sur le nom que tu as choisi pour ce projet, Pluralone. Pourquoi avoir choisi ce nom ? Est-ce que c’était une manière pour toi de faire référence à toutes les identités musicales qui cohabitent en toi ?
P : Non, il n’y a rien de vraiment personnel dans ce nom, j’y pensais déjà quand on cherchait un nom pour Dot Hacker. Il trouve en quelque sorte son origine dans la croyance que même si tout est un, que tout est connecté et vient de la même matière, nous sommes pluriels. Il existe une pluralité, une diversité extraordinaire. Partout dans le monde, mais également à l’intérieur d’un seul et même esprit. Dans chacune des décisions ou des actions que l’on prend, il y a bien souvent différentes manières de considérer les choses et pourtant, nous sommes généralement tous à la recherche de l’unicité. Pour être entier, souvent ensemble. Unité, ensemble. Pluralone.
J’aime aussi voir les gens hésiter et prononcer “Plur-alone” (la bonne prononciation est Plural-one, NDLR). Je ne sais pas vraiment si c’est un bon nom, ou si c’est totalement puéril. C’est peut-être les deux. Pluralité.
LVP : Tu as déjà sorti des morceaux très différents sous ce nom : des reprises de titres italiens et brésiliens que tu avais déjà joués en live, et maintenant ce disque qui est plutôt dans la lignée de ce que tu avais produit avec Dot Hacker. Est-ce que Pluralone est aussi une manière pour toi de pouvoir sortir des titres aussi différents sans avoir à te plier aux étiquettes de genre ?
P : Oui, complètement, c’était une manière d’avoir un alias sous lequel sortir toutes sortes de choses. Ça ne doit pas être juste à propos de moi tout le temps, j’aime beaucoup l’idée que ça évolue.
En fait, je déteste tout simplement qu’on utilise mon nom avec une espèce de ferveur enfantine, donc je refuse de sortir de la musique sous cette identité.
LVP : Est-ce que tu peux nous parler de la manière dont tu as composé et enregistré ce disque ? Entre la tournée que tu as faite avec les Red Hot Chili Peppers et les différents projets auxquels tu as contribué, comment as-tu réussi à produire un disque aussi riche ? Est-ce que ce n’est pas trop difficile de jongler entre des projets aussi différents ?
P : Si, c’est très difficile de jongler entre les projets. D’une manière ou d’une autre, j’ai réussi, mais c’est difficile.
En tout cas, je te remercie de dire que le disque est riche. Je dirais qu’il a été composé sur plusieurs années, dans le sens où plusieurs morceaux ont été écrits des années avant sa production. Segue doit dater de 2010, Was Never There de 2012. En revanche, Crawl a été écrite une nuit avant son enregistrement. En fait, je ne termine jamais les paroles avant que la chanson soit prête à être envoyée. Donc dans un sens, tous les titres ont été terminés à l’été 2018.
Avec Jack Irons, on a passé une semaine à enregistrer en septembre de cette même année. J’ai toujours une énorme pile de chansons, et en fonction de mes souvenirs et des différentes idées compilées dans mes dossiers, je les ressors quand j’estime que c’est le bon moment de travailler dessus.
LVP : Tu as collaboré avec beaucoup d’artistes différents (Flea, Chad Smith, Jack Irons, Eric Avery…) pour réaliser ce disque. On sait que tu es multi-instrumentiste et que tu aurais pu jouer tous les instruments qui y sont utilisés. Pourquoi avoir fait appel à d’autres musiciens, et comment les as-tu choisis ?
P : Toutes les personnes qui jouent avec moi sur ce disque sont des amis proches. Flea joue sur un morceau et sur une B-side qui avaient été composées pour les Red Hot Chili Peppers à l’origine. Pour moi, c’était la seule personne qui pouvait jouer de la basse sur ces morceaux.
Eric Avery et Eric Gardner avaient collaboré ensemble pour le groupe Garbage, et il se passe quelque chose d’incroyablement beau quand ils jouent ensemble. On travaillait ensemble en studio sur un autre projet, j’ai écrit Crawl après une conversation qu’on avait sur les chansons avec des boîtes à rythmes et je l’ai glissée discrètement à la fin de la session.
J’ai toujours eu dans l’idée de rassembler les trois autres membres de Dot Hacker sur ce disque. Malheureusement, Jonathan Hischke n’a pas pu se joindre à nous, donc je l’ai complètement imité sur certains titres. Quand je joue de la batterie, j’essaye toujours de tendre vers la magie de Jack Irons. Le fait que ma vie ait conduit à le faire jouer sur des chansons que j’ai écrites… C’est un choc ! Et c’est la même chose pour Eric Avery. C’est sans doute la personne qui se rapproche le plus d’un mentor dans ma vie, même avant que je ne le rencontre, et le fait que nous soyons devenus amis est tout simplement remarquable. Dan Elkan est un ami qui m’est très cher, je le connais depuis l’âge de 12 ans. C’est un excellent musicien, et j’espère pouvoir travailler avec lui à beaucoup, beaucoup d’autres reprises à l’avenir.
Le solo de Clint Walsh et son jeu sur Shade viennent du fait qu’il a apprécié le morceau lors d’une répétition de Dot Hacker il y a des années, comme pour Flea avec Was Never There. Immédiatement, je ne pouvais plus imaginer le morceau sans qu’il joue dessus. Enfin, Nate Woolcot est une source d’inspiration absolue pour moi. J’ai l’immense privilège de le connaître depuis des années et d’avoir bu un café avec lui partout dans le monde. Je suis aussi tout à fait conscient que j’écris mal son nom. C’est Walcott.
LVP : La sortie de ce disque intervient plus de deux ans après la sortie du dernier album de Dot Hacker. Est-ce que ça signifie que le groupe est en pause pour le moment ?
P : À cause de mes responsabilités au sein des Red Hot Chili Peppers, on ne pouvait pas vraiment consacrer de véritable calendrier de travail à Dot Hacker, et les autres membres du groupes ont tous des plannings très chargés également. Par le passé, à chaque fois que je savais que j’allais avoir un peu de temps, on planifiait quelque chose avec Dot Hacker autant que possible.
Cette fois, j’ai juste décidé d’attendre et de voir si les autres membres se manifestaient pour jouer. Personne ne l’a fait, donc j’ai fait ce disque tout seul. Ces mecs sont parmi mes amis les plus proches, donc je ne vois pas du tout le groupe se terminer. Peut-être même qu’on jouera demain.
LVP : Au fil des années, tu as développé une manière très singulière et personnelle de chanter, qui privilégie les sonorités aux dépens de l’articulation et de la prononciation. Quelle importance est-ce que tu donnes au texte dans tes morceaux ? Et comment est-ce que tu travailles ta voix pour qu’elle colle aussi bien aux mélodies ?
P : C’est une question très intéressante. Je pense que ça vient du fait que j’ai grandi en écoutant de la musique qui était difficile à comprendre, et je suppose que ça s’est ajouté au fait d’être jeune et de ne pas trop prêter attention au texte. Il y a un son, une émotion, et ça peut parfaitement faire l’affaire comme ça.
Bien sûr, les paroles sont une autre forme de création, et elles sont devenues très importantes pour moi. En fait, c’est même la chose la plus importante pour moi à présent. Pour une raison ou pour une autre, je me sens toujours plus à l’aise quand je chante d’une manière qui privilégie le rythme et le son. Le texte doit inspirer le chant et le faire durer, lui permettre de se connecter aux gens et les inspirer (ou même s’inspirer soi-même). Mais pour moi, il doit aussi venir tout droit de la langue. Quand j’enregistre, on me demande souvent d’articuler davantage et je pense que la plupart du temps, c’est un bon conseil, car si ça ne tenait qu’à moi, mon chant ressemblerait à une langue étrangère. Mais parfois, je dois garder mon intention originale, donc j’essaye d’écrire des mots qui correspondent à ce qui me venait spontanément.
Est-ce que je viens de faire une phrase sans fin ? Bref, je sens toujours que je fais des gros progrès en tant que chanteur et auteur, mais à chaque fois, je suis interrompu et je dois arrêter d’y travailler. Peut-être qu’en ce moment, je pourrais me concentrer un peu plus là-dessus.
LVP : Je ressens une certaine ambivalence entre lumière et obscurité dans le titre de l’album, dans ses textes et dans son atmosphère, un peu comme un conflit intérieur qui trouverait sa résolution dans ta musique. Est-ce que Pluralone est aussi un travail d’introspection musicale et personnelle ?
P : La lumière et l’obscurité sont toujours là. Je dirais que je tout ce que je fais a valeur d’introspection.
LVP : J’ai le sentiment qu’un certain nombre de morceaux de ce disque sont construits comme des mantras, avec des incantations qui sont répétées. Quel message, quelle énergie est-ce que tu voulais donner à ce disque ?
P : Je crois que je parle toujours plus ou moins des mêmes choses dans mes chansons, c’est-à-dire de la manière dont les choses peuvent être belles et horribles à la fois. Donc bien souvent, tu peux remonter le fil de ces morceaux jusqu’à un seul et même endroit.
LVP : Sur ce disque, on retrouve des progressions d’accords et des signatures rythmiques caractéristiques de ton travail. D’où te viennent ces structures ?
P : Je n’ai aucune idée d’où tout ça vient. Je suis de plus en plus émerveillé par l’origine des idées. Je me dépêche d’allumer mon téléphone ou mon enregistreur avant que l’idée ne disparaisse.
J’ai une connaissance limitée de la musique d’un point de vue théorique, mais j’ai toujours été fasciné par les auteurs qui parviennent à produire une écriture ou une structure de morceau complexe, tout en en faisant un aspect subliminal de ce que tu écoutes. C’est tout simplement beau et émouvant. Et puis tu t’assois pour étudier ça plus en détails, et tu t’aperçois que c’est encore plus riche que ce que tu pensais au premier abord, et qu’il y a une vraie intelligence au travail. C’est ce qui m’intéresse vraiment.
Je n’ai jamais vraiment réfléchi à ce que je devais apprendre ou ne pas apprendre, c’est juste de la paresse, je pense. Et c’est aussi que j’apprécie beaucoup le fait de ne pas réfléchir quand je joue. Je pense que plus les choses viennent naturellement, plus ton vocabulaire est étendu. Je devrais étudier davantage, tout comme je devrais lire davantage. Mais encore une fois, quand j’entends “je devrais faire ci” ou “je devrais faire ça”, je pense que ce n’est pas une bonne idée. Sois. Essaye.
LVP : La pochette de l’album retranscrit joliment son atmosphère évanescente et planante. Quelle est son histoire ?
P : Il s’agit d’une photo prise par une de mes amies, Nora. Quand je l’ai rencontrée, j’ai trouvé cette photo sur Internet. J’ai su instantanément que ce serait la pochette du prochain disque que je ferais. Je pense que c’était à peu près un an avant que To Be One With You ne soit conçu.
Je suis tombé dessus et je l’ai adorée. On lui a demandé d’y ajouter quelques gouttes et de retoucher le négatif pendant qu’il était développé. J’adore cette image. Je crois que c’est une des meilleures pochettes d’albums de tous les temps et j’espère que la musique lui fera honneur.
LVP : La dernière fois que tu as joué en France avec les Red Hot Chili Peppers, tu as interprété une magnifique reprise de Je suis venu te dire que je m’en vais. D’ailleurs, à cette occasion, La Femme avait fait votre première partie. Est-ce que tu écoutes beaucoup de musique française ? Qu’est-ce que tu connais de cette scène émergente ?
P : Je ne dirais pas que je connais beaucoup de choses sur la scène française actuelle, mais en même temps, je ne peux pas dire non plus que je connaisse grand chose à la scène actuelle, de manière générale.
J’aime beaucoup Serge Gainsbourg et tout ce qui lui est associé : les disques de sa fille, L’Enfant assassin des mouches de Jean-Claude Vannier, Di Doo Dah, le disque de Jane Birkin… J’ai une tendresse particulière pour Vu de l’extérieur. J’essaye de me souvenir de noms d’autres artistes français, et Michel Polnareff me vient en tête. J’ai toujours été très fan de Françoise Hardy également.
Il y en a tellement que là, je bloque. En fait, depuis quelques années, je suis toujours à la recherche de nouvelles musiques à dévorer. J’écoute tellement de musique que c’est difficile de rester à la page !
LVP : On imagine bien la manière dont ce projet pourrait s’incarner dans une formule plutôt intimiste en live. Est-ce que tu prévois de jouer ces morceaux sur scènes ? Comment est-ce que tu imagines ça ?
P : Oui, bien sûr ! Il y aura des versions solos de certaines de ces chansons que je jouerai en ouverture des dates de la prochaine tournée de Pearl Jam en Amérique du Nord, et ensuite, si tout va bien, je ferai un autre disque que je présenterai en même temps que celui-ci en live.
Les choses peuvent changer si vite que c’est assez difficile de prévoir à l’avance.
LVP : Eye Opener est sans doute le morceau que j’ai le plus écouté durant mon adolescence. Je trouve que les textures et l’ambiance générale du morceau particulièrement belles, presque obsédantes. Peux-tu nous en dire plus sur la création de ce morceau ?
P : Eye Opener débute avec des accords que Clint Walsh jouait sur son clavier Rhodes dans le petit studio de répétition dans lequel on répétait avec Dot Hacker, à nos débuts. Si je me souviens bien, en 2008, il y avait cette période pendant laquelle Eric était parti en tournée et on s’est retrouvé à trois, à mettre quelques accords bout à bout.
Le morceau commençait avec le couplet de Clint, et se déroulait à partir de là. En ce qui concerne le pont, avec le gros changement de tonalité… Je ne sais pas trop à quoi je pensais à ce moment-là. Je me souviens juste que c’est arrivé comme ça. Les accords ont commencé à tomber et on les a suivis. Ce morceau est l’un des morceaux originels de Dot Hacker. En fait, Dot Hacker est un peu comme la NHL, avec son “original six” (les six équipes qu’on désigne comme fondatrices de la NHL, la ligue nord-américaine de hockey sur glace, NDLR). Non attends, nous, c’était plutôt les “original five”. Enfin bref, il y avait cinq morceaux fondateurs, puis on en a ajouté deux supplémentaires, et on a rempli le reste du disque morceau par morceau ensuite.
Même si je me trompe d’un morceau, je pense toujours à ces cinq morceaux comme aux six équipes originales de la NHL.
LVP : Dans ce morceau, tu dis que “tu ne peux pas parler à quiconque te regarde droit dans les yeux”, mais depuis, tu as l’air d’avoir trouvé ton équilibre et d’être plus à l’aise. Comment as-tu dépassé ta timidité ? Est-ce que tu aurais des conseils à donner à des personnes qui sont introverties ?
P : C’est le combat de toute une vie. Quand j’avais 17 ans, je me suis rendu compte qu’être timide et peureux n’allait me mener nulle part, et que je me devais d’essayer de changer. Je ne suis pas certain qu’on puisse réellement changer sa nature, mais en prendre conscience est la première étape. Il m’arrive toujours de me sentir mal à l’aise socialement, mais je m’efforce de continuer à travailler là-dessus.
Des tips ? C’est quelque chose de récent pour moi, mais demande-toi d’où vient ce que tu penses de toi. Qui te dit ça ? Ton esprit ? Est-ce que c’est vrai ? Non. Ce sont juste des pensées. Arrête-toi une minute et écoute ton esprit. Prête attention à ce qu’il dit. Regarde la folie qui en découle, demande-toi d’où ça vient et si ça vaut la peine de l’écouter. Peut-être qu’après ça, quand tu te sentiras mal à l’aise ou timide, tu te rappelleras que ces trucs que te dicte ton esprit ne sont que des pensées qui attaquent ton bien-être. Il n’y a pas besoin de leur prêter attention.
LVP : Pour finir, tu as fait découvrir Tinariwen à beaucoup de personnes à travers le monde. Est-ce que tu peux partager avec nous un de tes coups de coeur musicaux du moment ?
P : En ce moment, Big Thief est mon nouveau groupe préféré. Il y a aussi matière à creuser du côté de Hater, un groupe du milieu des années 90. Exquis.